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René Battaglia se remémore les Jeux de Tokyo 1964

Il était le seul athlète de la délégation monégasque lors des derniers Jeux olympiques organisés à Tokyo, il y a 57 ans. Pour Code Sport Monaco, René Battaglia a accepté de revenir sur ce long voyage au pays du Soleil-levant, à travers photos et anecdotes.

« Ah, je vous attendais. J’ai déjà préparé ce qui vous intéresse. » Dans son appartement de Fontvieille à la décoration chaleureuse, René Battaglia a disposé une dizaine de photographies sur la table du séjour. Elles racontent l’aventure d’une vie, loin de sa Principauté natale. Notre hôte de 81 ans, cheveux blancs et lunettes fines, les contemple longuement. Non sans une certaine nostalgie. Les souvenirs refont surface, le renvoient dans les années 60. « Et encore, il n’en a sorti que quelques-unes », confie Claudy, sa compagne, dans un éclat de rire. Le couple ne se fréquentait pas encore à l’époque. Sur ces clichés en noir et blanc, témoins du temps qui passe, on y découvre un jeune homme en plein effort, muscles saillants, déterminé à soulever des barres toujours plus chargées.

Dans sa prime jeunesse, René Battaglia était haltérophile. Et pas n’importe lequel : le seul Monégasque envoyé aux Jeux olympiques de 1964 à Tokyo, théâtre de la prochaine édition, prévue cet été du 23 juillet au 8 août. Le sommet de sa carrière. A l’heure où certains de ses compatriotes s’échinent à imiter la pongiste Xiaoxin Yang, le retraité, lui, n’a rien oublié de son séjour japonais long d’un mois. Il interrompt son récit à plusieurs reprises pour illustrer son propos de photos, de coupures de journaux, de détails techniques ou historiques. Comme s’il était toujours habité par ce souvenir et ce sport « qui demande abnégation de tout ». Sa rencontre en 1955 avec Joseph Asso, instigateur de la section haltérophilie de l’AS Monaco, fut déterminante.

C’est avec ce « Monsieur », comme il le nomme encore respectueusement, qu’il s’envola pour Tokyo. « Je venais de faire deuxième au Championnat de France 1963 quand il a commencé à me parler des JO. Pour moi, c’était impossible. Ma seule ambition était de faire du sport, se souvient-il. Sans lui, je ne serais jamais aller aussi loin. Comme je voulais lui faire plaisir, on a finalement convenu d’un accord : je ne partais au Japon que si je réalisais les minimas français à deux reprises, c’est-à-dire un total de 400 kilos. » Ce qu’il fit, en accord avec ses principes de mérite.

Voyage de 24 heures et vaccin oublié

Pourtant, bien avant de prendre place dans l’avion à côté du ministre des Sports Maurice Herzog – « On regardait les glaciers du Pôle Nord depuis le hublot » -, René Battaglia doute : « La catégorie des poids-moyens était trop relevée pour moi. J’ai commencé à faire des calculs pour ne pas être ridicule et rentrer bredouille à Monaco. Ma hantise était d’être éliminé sans intégrer le classement. Intégrer les mi-lourds semblait plus raisonnable. » 

Une sage décision. A Tokyo, il bat ses records : 127,5 au développé, 115 à l’arraché et 165 à l’épaulé-jeté, pour un total de 407,5 kilos et une 16e place finale sur 32. Loin des 475 soulevés par le Soviétique Rudolf Plyukfelder, certes, mais l’essentiel résidait ailleurs. « Je n’avais pas les qualités pour devenir champion olympique. Je suis fier de le dire. Je le savais en allant au Japon. Ce qui m’intéressait, c’était de battre mes records. Et, on peut le dire, j’étais content, aussi, d’avoir évité le zéro éliminatoire », avoue le Monégasque. « Le sympathique et modeste champion haltérophile asémiste », d’après un article du Patriote daté de 1964, s’était mis une telle pression que son seul échec durant la compétition, à 117.5 kg à l’arraché, l’a empêché de dormir trois nuits d’affilée : « Je ruminais dans mon lit. Les méninges travaillaient tellement que, pour éviter la surchauffe, je suis sorti en boîte jusqu’à tomber de fatigue. »

Malgré son travail dans l’imprimerie familiale, René Battaglia ne rentra en Principauté qu’après la cérémonie de clôture des Jeux, le 24 octobre 1964. Toujours estomaqué de la victoire d’Abebe Bikila, pieds-nus, au marathon olympique de Rome quatre plus tôt, il a préféré assouvir sa passion en assistant aux épreuves d’athlétisme, de boxe et même de basket. Le Monégasque méritait bien cela, après un voyage de 24 heures et un vaccin contre la poliomyélite administré promptement lors d’une escale.

« D’une gentillesse et d’une éducation exceptionnelles »

Cette encyclopédie du sport, capable de citer les performances de sportifs internationaux sans se tromper, eut alors la chance de rencontrer de grands athlètes, Jesse Owens en tête. « Dalida et Louison Bobet sont venus nous dire bonjour, par sympathie pour la plus petite délégation des Jeux. On les a même invités au restaurant », s’exclame-t-il, les yeux brillant encore d’admiration.

Il n’a jamais oublié, aussi, la tension de Yoshinobu Miyake lors du concours d’haltérophilie des 56-60 kilos, disputé sous les yeux de l’empereur Hirohito : « Il a remporté facilement le titre olympique avec un total de 397,5 kilos. Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas visé plus haut, Miyake a répondu qu’il ne pouvait pas se permettre de louper une barre ! » Mais ce qui le marqua à vie, au point d’en parler durant de longues minutes quasiment 60 ans plus tard, c’est la densité humaine de la capitale nippone – « 10 millions d’habitants, ça fait peur, il fallait marcher vite pour ne pas se faire engloutir » – et l’accueil qu’il reçut : « Dans les livres pour enfants de l’époque, les Japonais étaient présentés comme des bêtes féroces à cause de la guerre. Quand je suis arrivé sur place, j’ai vite compris que j’étais mal éduqué comparé à eux. Ils étaient d’une gentillesse et d’une éducation exceptionnelles. Comme je portais les insignes olympiques, partout où j’allais, on me parlait de Monte-Carlo. » 

Après deux heures de récit, au moment de refermer la boîte à souvenirs, René Battaglia marque une pause. Il confie son inquiétude pour la nouvelle génération d’athlètes, privée d’un entraînement régulier depuis la crise sanitaire. Évoque son petit-fils qui s’est désintéressé de l’haltérophilie. Lui a arrêté peu après les JO, à 25 ans, conscient de se heurter à son plafond de verre. Pas l’alpinisme, sa passion, qu’il pratique toujours assidûment. Histoire de gravir d’autres sommets.

JÉRÉMIE BERNIGOLE-STROH

Publié le 15 Juin. 15:09