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Sebastien Loeb (FRA) and Daniel Elena (MCO) of Team Peugeot TOTAL at the finish line during stage 5 of Rally Dakar 2018 from San Juan de Marcona to Arequipa, Peru on January 10, 2018. // Flavien Duhamel/Red Bull Content Pool // SI201801100093 // Usage for editorial use only //

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Daniel Elena : « Je vais appeler Boris Herrmann pour faire une régate sur Malizia, histoire de leur montrer que je sais naviguer ! »

24 heures après sa vidéo dans laquelle il annonce avoir été écarté de Prodrive et donc de son complice de toujours Sébastien Loeb, Daniel Elena a pris le temps d’expliquer son point de vue. Sa fille de cinq mois sur les genoux, le co-pilote monégasque, nonuple champion du monde des rallyes et « 15 ans de voile » au compteur, a alterné entre sérieux et humour, s’imaginant sur l’eau avec le navigateur allemand.

Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?

Par téléphone ! (Il se met à rire) Disons que j’étais un peu abasourdi. Quand j’ai vu le numéro de Seb s’afficher, je pensais que c’était pour parler de la pluie et du beau temps, comme on le fait souvent. Je n’avais pas idée de ce qu’il allait me dire. Je suis resté sans voix.

Etait-il gêné ?

Oui, je pense. La décision, qui a été prise avec Prodrive, n’est pas évidente à annoncer. Ce n’était pas à lui de le faire, mais à l’équipe puisque c’est elle qui ne veut pas de moi. (Il cherche ses mots) C’est chiant que cela se passe comme ça, quoi.

Vous le sentiez venir ?

Non. Je les ai appelé ce matin pour m’expliquer, vu que personne n’avait eu le courage de me téléphoner. J’ai longuement expliqué mon point de vue, ma déception. Je m’attendais à une grande équipe et, comme je l’ai dit hier, elle est complètement déstructurée et n’a pas le niveau pour aller gagner le Dakar. Je connais la rigueur et la complexité de cette course. Quand j’ai commencé à travailler avec eux en amont, à partir de mi-juillet/début août, tous les conseils qu’on a pu leur donner n’ont jamais été mis en pratique. J’ai bien compris dès le début de la communication de l’équipe, et ressenti tout au long de la compétition, que les co-pilotes n’existaient pas et étaient simplement des pièces rapportées. Le patron de Prodrive, David Richards, qui était aussi le promoteur du WRC à l’époque, avait milité pour enlever les noms des co-pilotes sur les voitures.

C’est David Richards que vous avez eu au téléphone ce matin ?

(Catégorique) Ah non. David Richards ne connaît pas mon numéro de téléphone, il ne m’a jamais appelé que ce soit avant, pendant et après le programme Dakar. La seule fois où je l’ai vu au Dakar, je lui ai dis ‘bonjour, merci et au revoir’. Dans notre vie, on a dû parler ensemble cinq minutes. Excusez-moi mais ce n’est pas un patron d’équipe. Je porte mes c…. de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, j’ai mon franc-parler. Aujourd’hui, c’est à coups de réseaux sociaux, c’est complètement débile. Je remercie toutes les personnes qui me soutiennent dans ce moment, mais la vie continue, ne vous inquiétez pas ! (Il rit)

Avez-vous pris connaissance de la réponse de Prodrive ?

Bien sûr. Dans une équipe, quand il y a une réflexion, on appelle le principal concerné. On lui demande son avis, son point de vue. Un triangle, ça ne parle pas, pas plus qu’une suspension. Mais un co-pilote, oui. J’ai aussi le droit de donner mon avis, de m’expliquer. Comme je l’ai dit, on est parti à 50, on revient à 50. Mais, non, on est parti à 50 et on revient à 48 ou 49 parce que, vu sa réponse sur les réseaux sociaux, d’autres devraient peut-être sauter aussi.

Prodrive a évoqué des erreurs de navigation. Pensez-vous que…

(Il coupe) Oui. Mais, déjà, qu’ils apprennent à travailler. Au Dakar, on est parti avec une feuille de route de 5 ou 8 pages dont 3 sur le Covid ! J’ai failli rater l’avion parce qu’ils n’ont pas été capables de m’envoyer le bon billet. Ils m’ont fait l’installation dans la voiture le dernier après-midi de l’ultime journée d’essais. Quand j’ai demandé au shakedown du Dakar si je pouvais changer la position de la tablette électronique pour trouver la meilleure possible, on m’a dit que je n’avais pas le choix. C’est quand même mon outil principal de travail !

D’autres raisons se cachent-elles derrière celles avancées ?

Que quelqu’un ait déjà les c….. de m’expliquer les vraies raisons. La seule personne que j’ai eue aujourd’hui, c’est mon ingénieur, avec qui je m’entendais très bien. Je lui ai demandé de me prouver par A+B ce qui m’est reproché et personne n’y arrive. Je vais mener mon enquête, demander les vidéos des caméras embarquées où, soi-disant, j’ai fait des erreurs, pour leur expliquer ce qu’il s’est exactement passé et à quel moment. Ils affirment des choses qu’ils ne sont même pas capables de prouver. Il est là le problème. Oui, j’ai fait des erreurs de navigation comme tout le monde cette année. C’était un nouveau Dakar avec des tablettes électroniques. Tous les co-pilotes se sont perdus. Alors dire que c’est de ma faute si la voiture n’avançait pas, si on a fait un mauvais résultat, je ne suis pas d’accord. J’ai réparé la voiture à chaque fois qu’elle est tombée en panne. On a attendu le camion, ils n’ont pas été capables de mettre deux triangles différents dans le camion de secours. Ils ont réussi à en mettre deux « droit » ! Ça m’a fait rire ! Quand ils sont arrivés, ils n’avaient même pas mis la rampe de phares alors qu’on allait finir de nuit. On est arrivé à 3 heures du matin au bivouac et seulement deux personnes nous attendaient ! Personne de l’équipe !

Vous avez demandé à Sébastien Loeb de « porter ses c…. » et de quitter Prodrive. Pensez-vous qu’il le fera ou qu’il en est capable ?

Non, il ne le fera pas. (Il sourit) J’ai demandé ça parce que j’ai envie de relever le défi, on a toujours voulu gagner le Dakar ensemble. Séparer 23 ans de complicité et de hargne… Seb sait que quand je mets le casque sur la tête, je me donne à 100%. Il me connaît. Me faire débarquer de cette manière comme une vulgaire pièce mécanique qui soi-disant ralentit Sébastien Loeb, après 23 ans, j’ai du mal à l’accepter.

Après votre vidéo, les soutiens ont été immédiats.

Je suis une pièce mécanique qui parle et qui a le soutien de tout le monde. Quand j’ai parlé sur mes réseaux sociaux, je n’ai jamais incriminé Seb, ni dit que notre amitié serait altérée. En revanche, je remercie Prodrive de m’avoir redonné la hargne du jeune Daniel Elena qui voulait réussir. C’est comme si j’avais 20 ans, que j’avais envie de refaire une carrière, de me battre à nouveau, peut-être dans d’autres domaines que le sport auto.

Lesquels ?

Je n’en sais rien, ça fait 24 heures ! (Il explose de rire) Je viens d’arroser mes plantes, tout va bien, donc peut-être dans la jardinerie ! Je ne suis pas abattu, j’ai 48 ans et toute la vie devant moi. J’ai la chance d’avoir une compagne que j’aime plus que tout et une fille de cinq mois ainsi que mes deux autres filles à m’occuper. Daniel Elena a largement le temps de s’exprimer dans d’autres domaines.

Vous avez affirmé que votre amitié avec Sébastien Loeb serait…

(Il coupe) Avec Seb, on n’a pas besoin de se parler. On se comprend avec le regard, on sait exactement ce que pense l’autre. Hier, il m’a surpris. On avait préparé chacun une déclaration. Le problème, c’est qu’on a le même community manager. On l’a décomposé en 2 minutes ! (Il explose de rire) J’ai voulu lancer la mini-bombe en premier puisque j’étais lésé dans l’histoire. Je ne pensais pas que cela ferait autant de bruit.

Parce qu’on a du mal à vous imaginer séparés après tant de victoires et de records…

Mais nous ne sommes pas séparés ! Une heure et demi après avoir largué les bombes, j’ai appelé Seb en visio, on s’est fait un petit verre chacun de notre côté et on a discuté. Loeb/Elena : pilote/co-pilote dans la voiture, professionnels, mais amis dans la vie. J’ai quand même vécu chez lui, chez sa mère, avec le chat sur la tête, c’est une grande amitié ! Tu n’as pas besoin de moi ? D’accord, continue, je ferai autre chose. Je n’ai pas besoin de toi pour vivre non plus, je suis un battant, un compétiteur. Je me relèverai. Je vais appeler Boris Herrmann pour faire une régate sur Malizia, histoire de leur montrer que je sais naviguer. Pierre (Casiraghi, NDLR) m’a aussi écrit. Je suis sûr que si on se lance un défi, on va se le faire, le délire !

Cela vous plairait ?

Bien sûr, j’ai quand même fait 15 ans de voile dans ma jeunesse. Je dirais à Prodrive ‘je ne sais pas peut-être pas naviguer sur le Dakar mais je suis pas mal sur un bateau’. Et j’irais faire le tour des Îles Britanniques !

Est-ce qu’il y a une chance, même infime, à la fin du contrat de Sébastien Loeb avec Prodrive, de vous revoir tous les deux sur le Dakar ?

Et pourquoi pas du WRC ? Je ne sais pas faire ça aussi ? (Il explose de rire) Qu’il finisse d’abord son contrat. S’il me rappelle dans deux ans pour le faire avec une autre équipe, peut-être que oui. Ce qui est sûr, c’est que même s’il me relance demain en me disant ‘on arrête les conneries, on repart et on essaye de gagner le Dakar avec Prodrive’, ce sera non.

Propos recueillis par Jérémie Bernigole-Stroh

Publié le 17 Mar. 13:03